DANS LE DOMAINE DES MURMURES de Carole Martinez : Esclarmonde est une jeune fille issue d’une famille favorisée et aristocratique qui a pu développer lors de son enfance une délicatesse et une audace certaines grâce à une éducation empreinte d’amour paternelle. Nous connaissons tous ce genre de jeunes filles au port de tête altier ! Mais avec l’affirmation de sa féminité, elle se retrouve confrontée à un impératif : la vie adulte que se doit de mener une femme, d’autant plus si elle est l’héritière des valeurs familiales. Elle doit se placer. Rien n’est plus actuel : une femme doit s’aguerrir sur tous les fronts de la sociabilité ordinaire : femme, épouse, mère, tenir profession et maison, maîtresse-femme. La particularité de Esclarmonde est qu’elle fait profession de foi et vit au Moyen-Age ! 1187 ! Elle veut se donner corps et âme à Dieu : elle est animée d’un idéalisme amoureux. Sur elle, plane la menace de la condamnation d’hérésie. Elle est emmurée dans une cellule sans la moindre issue si ce n’est une fenestrelle qui permet que lui soient acheminés ses repas… et les secrets des hommes… Ayant refusé le sort échu à toutes ses sœurs parce que son âme pouvait englober l’univers, elle est condamnée à l’absolue solitude. Dans ce roman, les épisodes de la vie d’Esclarmonde sont épiques et nous tiennent en haleine mais le plus irrésistible de cette narration est contenu dans ces passages où l’héroïne est réduite à sa déréliction. De la prose émane alors le parfum de l’amour immaculée au féminin, subversif, au-delà des tabous (mais je ne dévoile rien… Lisez !), un amour sacrilège qui effraie les hommes car il se veut sans limite. Dans AMANTES ET MYSTIQUES, Elisabeth Reynaud, en résidence d’écriture à l’ancien monastère de Saorge, s’inspire de diverses femmes qui ont vécu sans pudeur leur amour mystique pour Dieu. Marie-Madeleine, Hadewijch d’Anvers, Béatrice de Nazareth, Angèle de Foligno, Mechthild de Magdebourg, Marguerite Porete, Catherine de Sienne. Exposées à la vindicte publique, accusées de folie, réduite en cendres sur le bûcher de la « rationnalité », elle brûle de passion et d’amour. La force de cet essai provient de la mise en perspective de l’auteur qui confie une passion amoureuse pour un homme au centre des chapitres consacrés à ces saintes femmes. Ce que j'en ai pensé: Dans ces deux œuvres, se dévoile le mystère de l’amour qui brûle ses femmes sans les consumer : c’est le secret d’un amour qui survit à la passion, non pas parce que cet amour se perd dans l’azur et l’illusion mais parce qu’il est incarné dans leur vie dont elles font un destin. (En cliquant sur l'image, vous retrouverez le site de l'éditeur et la présentation de "Amantes et Mystiques") Évelyne Martini publie chez Bayard en 2011 un essai intitulé « Notre école a-t-elle un cœur ? ».8/5/2012
J'ai lu cet essai à de nombreuses reprises durant cette année scolaire pour prendre du recul sur mon métier de professeur: après 12 années d'enseignement, j'ai trouvé des encouragements et des remises en question au fil des pages. Je vous livre ma lecture personnelle et subjective de ce livre... Dès les premiers mots, Evelyne Martini dévoile sa sensibilité en évoquant sa grand-mère corse et la tradition des poètes nomades passeurs de « l’entre deux langues ». Cette appartenance géographique à une île la rend sensible aux enfants de la ruralité tout comme aux « nouveaux arrivants » : elle commence par s’intéresser aux élèves puisque l’Inspectrice fut professeure. Mais elle définit aussitôt la fonction du professeur qu’elle observe et évalue : « soldats du front » exposés aux regards de tous, tous les jours. Elle n’élude pas : le professeur doit inspirer le bonheur de vivre et cette posture doit faire taire la douleur intérieure lancinante qui accompagne les affres de ce métier où l’on a à charge de transmettre ce qu’on a de plus intime –les bases de son savoir- à des êtres dont l’altérité s’impose parfois radicalement opposée. Toutefois, les « chers élèves » sont aussi la surprise de l’émerveillement et de l’enthousiasme de la jeunesse. Dans l’ Education Nationale, on souffre aussi « des adultes » car il est de mauvais ton de s’interroger, de douter ou d’avoir des émotions. Néanmoins, n’est-ce pas ce qui doit advenir dans la classe pour que les élèves s’éveillent à l’esprit et à un raisonnement personnel ? L’école enseigne des savoirs mais qui sont inopérants s’ils ne développent pas l’intériorité de ceux à qui ils sont confiés pour les faire fructifier. La société de l’image télévisuelle permanente et violente agite les angoisses et exacerbe la pulsion de mort en dépossédant l’adolescent de lui-même. Comment le ramener à soi ? Surtout dans un univers où règnent la chamaillerie, les notes, les gamineries entre élèves et… entre les professeurs qui s’observent, s’évaluent de peur d’être le mal-aimé : comme leurs élèves, ils peuvent s’embrigader dans la compétition du plus populaire et, ce faisant, ils abandonnent la parole libérée du savant pour tenir le discours vide du séducteur. Apprendre à l’élève à se défendre dans le marché de demain n’est pas lui fournir de visu l’exemple d’un enseignant prêt à tout pour survivre. Comment garder ses capacités à juger, à penser au sein d’une organisation humaine peu humaine où chaque professeur est seul face à des élèves qui vont et viennent d’un professeur à un autre ? Mieux lire, mieux compter, certes mais pour mieux vivre, pas survivre. Quelle est la vision de l’Homme portée par l’école ? De même qu’on oppose passion et raison, faut-il opposer croyance et vérité pour condamner et nier l’existence de l’un au profit de l’autre. Demander à un élève d’être raisonnable suffit-il à la maîtrise de ses passions ? La définition de la laïcité est à ancrer dans une tradition qui n’expulse pas arbitrairement toute une partie de l’héritage de notre pensée, notamment les sujets polémiques comme le rôle de la spiritualité ou l’histoire des religions. La culture est-ce prétendre tout comprendre, tout savoir, tout maîtriser ? Qu’en est-il alors du doute, des croyances, de l’esprit critique, du mystère ? Si certains sujets restent tabous, alors le professeur feint de tout savoir, de tout contrôler et tend un voile doré sur la béance du reste : technicisme littéraire, inflation informatique,… Mais les questions sont autres : comment vivre sans amour ? Comment maîtriser ses passions ? Que croire ? Ces questions nécessitent qu’on renonce à l’éparpillement pour oser s’investir dans son enseignement en tant que personne-professeur qui sait respecter en l’autre, la personne de l’élève, son propre mystère. Evelyne Martini livre ensuite des pistes pour y parvenir en s’appuyant sur des sources littéraires. C A Valette Une soirée magnifique d'émotions et d'interrogations! Pour un oui pour un non de Nathalie Sarraute mis en scène par René Loyon. Au théâtre Lucernaire, Jacques Brücher et Yedwart Ingey interprètent deux amis qui se retrouvent, face à face, après un différent qui peut sembler anodin: un échange de mots ou plutôt l'intonation d'une phrase, le ressenti de la ponctuation dans le message qui tue la connivence, les maux. Un procès s'organise pour traquer l'assassin: l'implicite. L'un pourrait ressembler à Rousseau, l'autre à Voltaire. L'un se vit en marge de la société, en artiste maudit, et l'autre incarne peut-être l'intellectuel qui n'a pas manqué de vivre tout en menant ses recherches. Chacun dévoile que l'amitié est ténue dès qu'elle s'aventure sur le chemin de la connaissance ou de la sociabilité. Le désir mimétique guette, épie ce que l'autre "fera de bien". "C'est bien, ça". La mise en scène de René Loyon s'articule autour du déplacement de deux chaises dont l'une reste un moment suspendue au bras d'un des deux amis. Les chaises, les fauteuils, les promenades, l'escalade où l'on partage ses idées avec son ami, où l'on refait le monde. Peut-on interrompre le mouvement de l'amitié? S’asseoir pour en débattre? Arrêter son ascension pour contempler le paysage sans tuer l'amitié, sans "rompre"? Quel paysage voient les amis? Leur univers commun dévoilé ou la place des autres, des copains? Perd-on son ami parce qu'il est en présence de ses copains, de ses collègues, de sa famille ou de ses voisins? Que se passe-t-il quand votre ami ne vous parle plus qu'en des termes que vous "pouvez" comprendre "entre guillemets". Les autres, absents de la scène, voix-off, non-sens,... les amis les entendent mais peuvent-ils s'entendre encore ? Peut-être la réponse du metteur en scène à Nathalie Sarraute est-elle dans le dialogue des deux voix mélancoliques (deux cordes qui vibrent sous l'archet) qui s'entremêlent dans la Chaconne de Bach. Ce qui est plaisant et tragique dans cette nouvelle, c'est la peinture de la cruauté de l'amour. La jeune-femme n'est désirée que parce qu'elle est l'objet d'une compétition entre les différents hommes qui l'entourent de leur passion. Mais contrairement à l'intrigue de La Princesse de Clèves, elle ose vivre la passion. Sa mère n'est pas un soutien ; son père ne fait aucun cas d'elle. Elle est "tourmentée" par sa famille: jolie litote! Elle est alors abandonnée seule face à la vacuité du regard que les autres portaient sur elle. C'est une rude leçon mais qui dépeint parfaitement la subversion que représente l'amour dans une société où l'insécurité -notamment les guerres de religion- oblige chacun à faire des alliances plutôt qu'à suivre ses penchants et la douceur. On désire ce qu'on n'a pas, on ne désire pas ce qu'on a! Où commence la compétition, le plus fort règne. |
AuteurChristelle Abraham Valette Catégories
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January 2015
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