Cécile Ladjali est romancière avant tout mais elle a produit également des essais - notamment sur la parole et la transmission du savoir- et une pièce de théâtre HAMLET / ELECTRE que j’espère vraiment voir mise en scène un jour, non seulement parce qu’elle a un rythme de dialogue soutenu dans un décor infernal loufoque et dantesque mais aussi parce que, si elle est montée, ce sera que le monde aura avancé en humanité ! Alors, je dirai : quand la pièce sera mise en scène, vous découvrirez comment Hamlet et Electre participent au rachat paradoxal des leurs en réécrivant les itinéraires de Roméo et Juliette en Israël-Palestine. Cécile Ladjali donne toujours à voir un contexte historique en filigrane à une fiction dévorante de passions. Mais, ce n’est pas une peinture ou un moment qu’elle décrit, elle incarne les impératifs de l’Histoire dans l’histoire d’individus qui la subissent dans leur intériorité. La beauté des titres de ses romans plonge déjà dans tout un univers. Par exemple, ORDALIE raconte en filigrane la passion de Ingeborg Bachmann et de Paul Ceylan dont l’un périt par le feu et l’autre par l’eau mais se superpose à cet itinéraire du couple la tragédie de la seconde guerre mondiale, du mur de Berlin et de la Shoah. Toutefois, celui qui se consume vraiment dans ce roman, c’est Zak, le confident de la belle et fantasque Ilse qu’il aime sans espoir jusqu’au sacrifice et à l’aigreur. Ce narrateur orphelin blessé par la guerre est impuissant à rivaliser avec un rescapé des camps de concentration… Le dernier roman ARAL est à l’image de la mer de ce nom l’histoire d’un dépouillement : un violoncelliste perd l’ouïe au fil de la décomposition de sa vie. La femme aimée se décuple avant de réapparaitre de façon énigmatique ou fantomatique le laissant vide de soi. Pourtant, c’est cette sécheresse intérieure et cette absence de stimuli extérieurs qui le conduisent à renouer avec son identité profonde, sa musique… Les peuples ont vécu à l’heure soviétique et le nucléaire a accéléré les rythmes naturels de toutes les vies. Il y a de nombreuses scènes extraordinaires mais notamment celle où le héros mange de la neige avec celle qu’il aime : l’eau invisible devenue solide comme l’envers du souvenir. A découvrir aussi : Dans les romans précédents se retrouvent ces couples fusionnels fantasmés ou réalisés au fil d’époques historiques toujours perçus par le biais du filtre des références à des auteurs classiques : Shakespeare, Homère, Jane Austen, Virginia Woolf. En reconnaissez-vous d'autres? Une soirée magnifique d'émotions et d'interrogations! Pour un oui pour un non de Nathalie Sarraute mis en scène par René Loyon. Au théâtre Lucernaire, Jacques Brücher et Yedwart Ingey interprètent deux amis qui se retrouvent, face à face, après un différent qui peut sembler anodin: un échange de mots ou plutôt l'intonation d'une phrase, le ressenti de la ponctuation dans le message qui tue la connivence, les maux. Un procès s'organise pour traquer l'assassin: l'implicite. L'un pourrait ressembler à Rousseau, l'autre à Voltaire. L'un se vit en marge de la société, en artiste maudit, et l'autre incarne peut-être l'intellectuel qui n'a pas manqué de vivre tout en menant ses recherches. Chacun dévoile que l'amitié est ténue dès qu'elle s'aventure sur le chemin de la connaissance ou de la sociabilité. Le désir mimétique guette, épie ce que l'autre "fera de bien". "C'est bien, ça". La mise en scène de René Loyon s'articule autour du déplacement de deux chaises dont l'une reste un moment suspendue au bras d'un des deux amis. Les chaises, les fauteuils, les promenades, l'escalade où l'on partage ses idées avec son ami, où l'on refait le monde. Peut-on interrompre le mouvement de l'amitié? S’asseoir pour en débattre? Arrêter son ascension pour contempler le paysage sans tuer l'amitié, sans "rompre"? Quel paysage voient les amis? Leur univers commun dévoilé ou la place des autres, des copains? Perd-on son ami parce qu'il est en présence de ses copains, de ses collègues, de sa famille ou de ses voisins? Que se passe-t-il quand votre ami ne vous parle plus qu'en des termes que vous "pouvez" comprendre "entre guillemets". Les autres, absents de la scène, voix-off, non-sens,... les amis les entendent mais peuvent-ils s'entendre encore ? Peut-être la réponse du metteur en scène à Nathalie Sarraute est-elle dans le dialogue des deux voix mélancoliques (deux cordes qui vibrent sous l'archet) qui s'entremêlent dans la Chaconne de Bach. |
AuteurChristelle Abraham Valette Catégories
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January 2015
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