Les noms sont fictifs. 2008
Lycéens Ecrivains Apprendre à lire, à écrire: les apprentissages de la vie. C’était l’idée principale de mon roman (car oui, je suis romancier). Je voulais rajouter plein d’épisodes à mon histoire tout en la centrant sur quelqu’un. Mais pourquoi la centrer sur une personne, quand on peut la centrer sur une population qui partage avec nous les joies, les pensées, les peines dont est fait le monde aujourd’hui ? Ce bâtiment de plus d’un siècle se situe aux pieds du plateau. Autour de ce grand rectangle, des mégots. Pourquoi un rectangle ? Peut-être pour ses quatre angles droits, un symbole d’une éducation droite, stricte. L’extérieur est gris. La porte principale bleue. Des jeunes y entrent et d’autres sortent, des professeurs partent, et certains arrivent. Un jeune vient dans ma direction. Je me présente à lui, il se présente. Amaury, 17 ans. A peu près un mètre quatre-vingt-cinq. Yeux verts, des joues un peu joufflues, des cheveux châtains. Entretien : Amaury, 17 ans, lycéen, « Pour moi, c’est un lycée comme les autres. Bah oui. Quand tu vas au lycée, c’est pour travailler, pour apprendre. Enfin, normalement. Que tu sois à H ou à L, t’es toujours dans un lycée… « Sinon, j’me sens bien ici moi. C’est vrai que c’est pas facile d’être nouveau quand t’arrives en première. J’suis pas seulement Amaury, mais Amaury le nouveau. Et ouais ! C’est comme La Nouvelle-Orléans. Tu sais, la ville aux U.S.A. ! Y’a Orléans et La Nouvelle-Orléans. Elles ont le même nom, mais c’est pas les mêmes villes. C’est comme le clair obscur. « Mon monde s’est subitement plongé dans l’obscurité totale et moi, j’essaye de briller dans ce monde noir. « Au début, t’as tes amis, ta ville, ton lycée, ta maison. Et puis à la fin, on te refile de nouveaux amis, une nouvelle ville, un nouveau lycée, une nouvelle maison. Alors, tu t’méfies, tu fais gaffes. Tu regardes, tu analyses. C’est comme à pile ou face quoi ! Soit ça te plait et tu te sens bien, soit ça te plait pas et tu te sens mal. « Les cours, c’est chiant des fois. Tu t’ennuies dans certains cours. Parfois, t’as même envie de dormir. Le seul cours qu’est jamais chiant, c’est le sport. En sport, tu fais jamais deux fois les mêmes choses. Y’a plus de suspense. « Ils sont pas tous chiants, mais quelquefois si. En fait, c’est à cause des notes. Tu vois, quand t’as une bonne note, c’est bon ; sinon…c’est pas bon. « Tu connais Beethoven, Mozart, Bob Marley et tous les autres que j’ai pas cités ? Bah tu vois, eux, ils avaient toujours de bonnes notes. Leurs notes, tout le monde les apprécie. Qu’elles soient graves ou aigues, longues ou courtes, tout le monde les aime. Alors, si tes notes à toi s’accordent pas avec la rengaine des profs, c’est foutu ! « De toute façon, ici ou ailleurs, un lycée restera toujours un lycée. » Lycée , mi-mars. Hall du lycée. Entretien avec S [2] « Comment je me sens en classe ? Ma foi, je ne m’amuse pas. Il y a certaines choses dont je ne vois pas l’utilité, certaines choses qui me serviront en rien pour le métier que je veux exercer. Par exemple, en SVT, l’étude des roches… En quoi cela me servira-t-il ? Pour ma culture générale, certes, mais je ne vois pas comment dans la rue, je peux accoster quelqu’un et lui dire : « Oui, alors sur les côtes bretonnes, on trouve du granit… ». Ça sert à rien… enfin… ça sert à rien… c’est une question de gout. Sinon, à part cela, disons que si je m’investirais un peu plus dans mon travail, je ne rencontrerais aucun problème au niveau de certaines matières, oui, aucun. Mais également le bruit. Le bruit perturbe l’écoute, le bruit accentue le manque de sérieux, le bruit nous fait glisser sur un long fleuve de mauvaises notes comme s’il nous attrapait et nous faisait adhérer à l’insouciance et l’immoralité. C’est une question d’instruction, c’est une leçon de morale, un mode d’emploi pour se servir de quelque chose. Quant à l’ambiance dans l’enceinte du bâtiment en elle-même, elle est assez difficile ! Disons que… j’ai eu certains problèmes sentimentaux contribuant à alimenter le manque de sérieux déjà accumulé, et à créer une tension quelconque avec elle en cours d’anglais. Une flamme qui ne s’éteindra pas de si peu, de si tôt. Pour en venir à la manifestation contre la suppression des postes au niveau de l’administration scolaire, personnellement, elle met plus qu’égale. Je suis pas au courant de ce qui se passe à part que des élèves, d’un autre lycée, ont bloqué l’accès de l’établissement en agitant des banderoles et en criant au mécontentement et à la colère, telle une masse unie déferlant de rage. Je voudrais exprimer le souhait que cela ne me concerne d’aucune sorte. Mais plusieurs choses sortent du lot... En effet, ça m’agace les personnes qui disent, « Bon sang, que 15 ! », ça me met hors de moi, une envie de les matraquer. Enfin, j’ai envie de dire que le lycée au niveau architectural n’est pas à mon gout, il a, de plus, une mauvaise réputation, il n’est pas dans le centre , en gros ce bâtiment est comme repoussé, expatrié, interdit de changer d’endroit… Egalement, présence d’une trop forte majorité masculine. fin mars, je m’arrêtai au lycée , et recueillis le témoignage d’un élève de 1ère scientifique. [3] « Encore hier c’est arrivé, en cours d’anglais… Ca arrive trop souvent de toute façon et ça ne peut changer que tous les ans. Mais on n’a que trois ans à passer ici, enfin du moins pour les plus chanceux. Il ne me reste qu’une année de lycée et j’aimerais la réussir, c’est sûr. Il le faut pour après. Je ne suis pas particulièrement bon élève mais j’estime faire des efforts… Je disais, c’est encore arrivé hier. Certains élèves de ma classe, la « tête » de classe, ne sont pas nombreux mais causent du tort aux élèves comme moi. Ils ont beau ne pas penser, ils sont toujours récompensés. C’est un privilège qu’on n’a pas nous, et on les voit profiter de leur situation pendant qu’on se courbe au travail pour obtenir des notes toujours plus basses que les leurs. Les profs parlent de subjectivité et, bien sûr, ils disent ne pas s’appuyer sur elle pour la notation. Moi je vois ça comme une porte qui s’ouvre devant ces élèves, mais qu’on ne peut pas passer. La faute est aux profs. Les gardiens des clefs, ce sont eux, ces menuisiers qui travaillent et façonnent nos bosses, qui nous créent à leur façon en nous sculptant, en nous polissant, sans en mesurer les résultats. Un bon menuisier sait pourtant travailler la matière pour aboutir à un produit fini prêt à être libéré sur le marché. C’est un beau métier que d’être menuisier : il détient le don de transformer le bois brut le plus hostile afin de lui donner de la valeur, il le bossèle jusqu’à ce qu’il bosse. Cependant, les bois les plus courbés par le travail peuvent exhiber leurs bosses, la vue de leurs créateurs n’est pas toujours assez objective pour qu’ils les remarquent. Et c’est bien dommage parce que je suis persuadé que ça vaut le coup d’œil. Je suis un bois de valeur qui mérite la fierté de mes créateurs, mais encore faudrait-il qu’ils y prêtent attention ! ». Une ville de tourisme mais également une ville de travail, ou règne en partie l’éducation.[4] Cette ville contient de nombreux établissements tels que des lycées, notamment le lycée polyvalent . Cela fait maintenant plus d’un centenaire que ce lycée accueille de jeunes collégiens afin de les propulser dans le milieu du travail, baccalauréat en mains. La première fois que je suis rentré dans le lycée, je vis une palette de personnes différentes, alors au cours de mon voyage je me mis à en apprendre plus sur ces lycéens. Le 26 mars 2008, dans le lycéej’eu mon premier entretien avec un élève en classe scientifique. « Moi, mes parents voulaient que j’aille à ---, ce lycée sélectif donc tout le monde dit du bien, et moi, j’aurai facilement pu y rentrer. Mais moi, je ne m’intéresse pas à ce que l’on dit, je voulais seulement être dans une classe européenne, et il y en a qu’a ---, et puis l’enseignement c’est gratuit et c’est ouvert à tous n’est-ce pas ? Il n’y a pas de personnes supérieures ou inférieures à d’autres à mon avis. En plus, moi quand je vois les autres élèves de ---, prenant un air supérieur quand vous leur dites que vous venez d’ici, et bien je n’ai pas du tout envie de leur ressembler, moi. Et puis, ici, on donne une chance à tout le monde de réussir, et bien peut-être que finalement ça réussira mieux au monde. Moi au final, je suis sûr qu’on s’en sort mieux qu’eux. Ce n’est pas parce qu’on est à --, qu’on travaille mal, ni parce qu’on est à -- qu’on est intelligent et voué à la réussite. Et puis l’éducation, c’est la base de tous hommes, et à mon avis, ce que nous demandons à tous, c'est de nous faire des hommes avant de nous faire des grammairiens. Moi, je trouve qu’ici on ne juge pas les gens d’avance, mais qu’on les laisse saisir leur chance, et puis tant pis pour ceux qui ne la saisissent pas. Alors moi, j’aime bien mon lycée, et je ne comprends pas pourquoi tout le monde dit que c’est le moins bien car chaque lycée a pour but de former des Hommes adultes et civilisés. Moi, je pense qu’être bien placé pour dire qu’on ne juge pas un livre à sa couverture. D’ailleurs je trouve que mon lycée il porte bien son nom.» , le 27 mars 2008 :[5] Devant ce bâtiment sombre, semblable à un monstre dont l’aspect est si géométrique que l’on pourrait le comparer à une série de pavés disposés les uns à la suite des autres, quelques individus sont posés là. Ils semblent attendre quelque chose,… quelque chose qu’ils redoutent car ils ne cessent de regarder leurs montres ou portables. Tous ont une particularité : elle peut être vestimentaire, physique, caractérielle ou autre et permet de les distinguer. Tous, malgré leur anxiété de retourner à la tâche, tentent de s’aérer l’esprit après toutes ces heures passées dans l’antre de l’animal remplie de savoir. Certains fument, d’autres tentent de se changer les idées en passant dans un autre décor. Moi, je suis là, devant ; je les observe mais personne ne fait attention à ma présence. Seuls quelques regards se dirigent vers moi, puis se détournent par la suite. « Mais qui est-elle ? », « pourquoi est-elle là ? » se demandent-ils tous, sans doute. Et moi, je ne bouge pas, je continue de les regarder s’interroger, puis je me dis intérieurement : « si je suis là, c’est pour vous ! Pour que vos voix soient entendues et pour montrer à tout le monde que vous êtes capables de réussir la mission qui vous a été donnée, ainsi que toutes les autres ». Je m’approche alors de l’entrée, cette grande porte bleue qui comme une bouche avale et régurgite des centaines d’élèves. Une fois la porte passée, une atmosphère différente règne, presque personne dehors, tout le monde est regroupé dans le hall. Cet espace aménagé, avec tables, chaises, panneaux d’affichages où les élèves attendent que retentisse la sonnerie qui les portera aux prochaines épreuves. Contrairement à l’extérieur si sombre avec tous ces fumeurs, l’intérieur est clair et rempli de savoir. Tous ceux qui ne s’étaient pas vus durant les cours se retrouvent et en profitent pour partager leurs dernières aventures, leurs notes ou les dernières nouvelles circulant. Soudain retentit la sonnerie et dans un seul élan tous se dirigent vers leur salle respective ; quelques élèves perdurent encore un temps dans ce hall jusqu’à ce que cette grande pièce se vide enfin. Enfin presque. Je me dirige vers une table où un élève en particulier à attirer mon attention. Pourquoi ? Sans doute parce qu’il était l’un des seuls entourés de tant de livres, de feuilles et de stylos de couleurs différentes. Je me présente à lui et lui fait part de la raison de ma présence dans son monde, il trouve mon idée intéressante et accepte de se détacher un moment de ses livres. Il souhaite m’aider dans ma démarche et souhaite dénoncer tout particulièrement les a priori et les idées reçues sur son lycée. Son nom ? Kevin ; il est élève de première S. Ce lycée pour moi représente beaucoup : « une bonne grosse dose de fun » mais surtout un super enrichissement intellectuel. Je me suis débloqué et la liberté que l’on nous donne comparée au collège est très agréable. Cependant, je dirais que certains en use de sorte que la réputation de-- en souffre, avec une ambiance à la détente, quelques actions incontrôlées et certains individus à la mentalité encore collégienne n’ont pas la tête au travail. Cette répulsion au travail semble contagieuse paradoxalement à l’architecture du lycée si carrée qui voudrait un encadrement exemplaire. Le bruit déconcentre et finit par rendre la vie noire à ceux qui veulent travailler. Ce n’est pas parce qu’une minorité veut s’amuser que les autres ne sont pas capables de réussir comme dans les autres lycées plus réputés. Il suffit de s’inculquer une discipline de fer et de s’accrocher pour réussir. Tous les parasites extérieurs deviennent alors inexistants et seule la lumière du savoir nous atteint. On est comme les autres : on peut et veut réussir. Apprendre. Toujours écouter pour apprendre.[6] Retranscrire dans un roman la vie des lycéens c’est comme ouvrir un livre des secrets. Devant la grande porte du lycée, rien, pas un bruit, quelques mégots par terre, mais pas d’élèves. Passées la porte principale puis la porte du hall, c’est toute une vie que l’on y découvre. Avant de venir dans ce lycée, je m’étais dit que les élèves allaient tous me regarder comme une bête sauvage, et pourtant, ma présence ne semble même pas les perturber, pour eux je dois être un simple professeur qu’ils n’avaient encore jamais vu. Inconsciemment, ils ne savent pas que je suis là pour raconter leur histoire, leurs secrets, leurs envies. Après cette première rencontre avec les lieux je suis revenue quelques jours plus tard. [ |
AuteurChristelle Abraham Valette Archives
October 2013
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